Lors de l’Assemblée générale du 7 mai 2021, les membres du SCCC-UQO ont adopté le mémoire suivant :
C’est dans un contexte tendu que le débat sur les libertés universitaires a polarisé l’opinion publique québécoise. La situation pandémique ainsi que le débat sur le racisme systémique ont contribué à polariser les opinions à ce chapitre. C’est à l’Université d’Ottawa qu’est née la controverse. Plusieurs membres du SCCC-UQO travaillent des deux côtés de la rivière des Outaouais, ce qui fait en sorte qu’une grande anxiété a pu se développer dans notre communauté.
Le Syndicat a décidé de solliciter ses membres afin d’avoir une position syndicale claire sur le sujet. Le choix a été fait de se détacher des débats médiatiques afin d’aborder la question dans sa globalité. Nous avons aussi tenu à étudier la question dans son contexte, notamment celui de la diversité ainsi que de la précarité.
Un premier écueil à ce travail est celui de la définition. Les libertés universitaires constituent un concept flou qui est présent dans certaines lois, dans certains règlements et dans la majorité des conventions collectives des personnes chargées de cours et professeures.
Il existe plusieurs dimensions à ces libertés. Sans être exhaustif, nous pouvons en nommer quelques une :
- La liberté d’opinion à l’intérieur et à l’extérieur des activités universitaires. Elle peut inclure la liberté d’association et une certaine limite l’obligation de loyauté envers l’employeur.
- La liberté disciplinaire comprend la matière vue en cours, les théories et les approches.
- La liberté pédagogique comprend les choix dans l’élaboration d’un plan de cours, des lectures obligatoires, des approches pédagogiques ainsi que des évaluations des connaissances.
- Liberté de recherche et de création limite l’ingérence et les pressions extérieures dans les publications scientifiques. Cette liberté inclut la protection des sources et la protection contre les poursuites bâillon.
- L’autonomie professionnelle qui inclut la collégialité et la cogestion. Les personnes chargées de cours sont présentes dans les Conseils de modules et dans les comités institutionnels. Les comités de perfectionnement et d’intégration fonctionnent selon le principe paritaire pour garantir l’autonomie professionnelle.
- L’autonomie institutionnelle qui limite l’intervention de l’État dans la gestion des universités bien qu’il garantisse le financement.
Ces six dimensions peuvent parfois se recouper, parfois entrer en contradiction. Si la liberté d’opinion et la liberté d’enseignement ont accaparé le débat public dernièrement, ce sont probablement la liberté pédagogique et l’autonomie professionnelle qui préoccupent le plus les chargées et chargés de cours.
Les libertés universitaires ne peuvent pas être étudiées de manière isolée. Nous devons également l’étudier au regard du droit à l’image et de l’obligation de l’Employeur d’offrir un environnement de travail sain. Nous ne pouvons pas ignorer que les étudiantes et les étudiants possèdent également des droits. Les libertés universitaires doivent s’exercer de manière responsable en tenant compte des libertés des autres.
Enfin, n’oublions pas que l’université est un endroit de lutte scientifique, sociale et politique. Il est sain que des débats surgissent, y compris sur des choix « académiques ». Toutefois, ces luttes ne doivent jamais mener à de l’intimidation ou de la censure.
Une assise juridique floue
Les différentes dimensions de la liberté académique ou de la liberté universitaire ne sont généralement pas développées dans les textes officiels. Cela laisse aux différentes actrices et différents acteurs sociaux une large interprétation de ce concept. Le législateur reconnaît toutefois la liberté de conscience et les libertés académiques dans la Loi sur l’Université du Québec :
« L’Université a pour objet, dans le respect de la liberté de conscience et des libertés académiques inhérentes à une institution universitaire, l’enseignement supérieur et la recherche; elle doit notamment, dans le cadre de cet objet, contribuer à la formation des maîtres » (article 3 de la Loi sur l’Université du Québec).
La liberté de conscience peut référer autant à la liberté d’expression qu’aux libertés de recherche et de création. Il est aussi pertinent de noter que les libertés académiques ont la forme pluriel. On reconnaît ainsi qu’il existe plusieurs dimensions bien qu’on ne les nomme pas. Cela peut amener certaines confusion dans son application.
Dans un sens analogue, la Convention collective du SCCC-UQO définit peu ces concepts. Il y a d’abord une reconnaissance de l’expertise professionnelle et pédagogique, prélude de l’autonomie professionnelle :
« Reconnaissant la contribution déterminante des personnes chargées de cours, l’expertise professionnelle et pédagogiques qu’elles représentent et leur apport essentiel à la formation des étudiantes, étudiants, l’Université s’engage à faire état de cette reconnaissance, à valoriser la représentation des personnes chargées de cours au sein de l’institution et à appuyer leur participation à la vie académique » (article 2.06 de la Convention collective du SCCC-UQO).
Par ailleurs, la Convention collective du SCCC-UQO assure l’exercice des libertés académiques et des libertés politiques à l’intérieur et à l’extérieur des fonctions à l’Université. Notons que la forme plurielle est encore utilisée.
« Toute personne chargée de cours a la pleine jouissance de ses libertés politiques et académiques qu’elle soit ou non dans l’exécution de ses fonctions à l’Université et, en aucun temps, ses droits prévus ou non à la convention collective ne pourront être affectés à l’Université à cause du libre exercice de ses libertés » (article 5.01 de la Convention collective du SCCC-UQO).
En somme, il existe une certaine protection aux libertés universitaires dans la loi et dans le contrat de travail. Toutefois, ces libertés peuvent laisser place à une interprétation. Tous auraient avantage à ce que ces concepts soient transcrits de manière plus claire dans une politique institutionnelle.
Précarité et liberté universitaire
Une des assises principales de la liberté universitaire est la permanence d’emploi. Ainsi, la liberté universitaire peut s’exercer, car les universitaires peuvent se protéger contre d’éventuelles sanctions. Même si la liberté académique est incluse dans une convention collective de personnes chargées de cours, il est plus difficile de la garantir, car ces travailleuses et ces travailleurs sont précaires.
Ainsi, une pleine liberté universitaire ne peut pas être garantie sans une certaine stabilisation de l’emploi ainsi que des mécanismes de protection contre d’éventuelles représailles de l’Employeur qui inclut les directions de département. En effet, ces départements possèdent d’importants mécanismes pouvant mener à des représailles, notamment l’évaluation des exigences de qualification pour l’enseignement (EQE) ainsi que par l’affichage ciblé de certains cours (cf la clause 9.02).
Il est difficile de ne pas voir en la différence de traitement de l’Université d’Ottawa dans les affaires Lieutenant-Duval et Attaran une prime à la stabilité de l’emploi et au genre dans l’exercice de la liberté universitaire.
Résolution 1 : Le SCCC-UQO considère que la stabilisation de l’emploi des personnes chargées de cours est une condition essentielle à l’exercice des libertés universitaires.
Résolution 2 : Le SCCC-UQO doit dénoncer toutes formes de sanctions et de représailles contre des personnes chargées de cours en réponse à l’exercice de leurs libertés universitaires en autant que ces libertés aient été exercées de bonne foi et de manière raisonnable.
Éliminer la subordination
Un enjeu majeur pour protéger les libertés universitaires des personnes chargées de cours est de mettre fin aux tentatives de subordination au corps professoral. Dans certains départements, on impose aux personnes chargées de cours un plan de cours cadre, notamment lorsqu’il y a plusieurs sections à un même cours. On peut imposer un format d’examen, voire une approbation des examens.
Bien que rien ne justifie leur existence ni dans la Convention collective du SCCC-UQO ni dans la Convention collective du SPUQO, certains départements ont créé le statut de professeur de référence ou de professeur encadreur. Pourtant, dans leur tâche d’enseignement, rien ne devrait distinguer une personne chargée de cours d’une personne professeure. Le travail et l’expertise sont comparables.
Ces professeures et professeurs de référence agissent parfois comme des patrons en ordonnant des modifications aux plans de cours ou aux examens. Cette situation est humiliante pour plusieurs.
Résolution 3 : Le SCCC-UQO dénonce les départements qui tentent de limiter l’exercice des libertés universitaires des personnes chargées de cours en imposant des modifications aux plans de cours, aux lectures obligatoires, aux évaluations et aux modalités d’enseignement.
Protéger l’autonomie professionnelle
L’approche clientéliste de plus en plus présente dans l’administration des universités fait en sorte qu’on assiste à la volonté d’uniformiser les pratiques pédagogiques. Comme nous l’avons mentionné plus tôt, certains départements tentent d’uniformiser les plans de cours, les lectures obligatoires, les formats d’examens ou les approches pédagogiques de certains cours. C’est notamment le cas des cours comportant plusieurs sections. Cette uniformisation forcée est une entrave à l’autonomie professionnelle. Nous craignons qu’elle se généralise avec le développement de la formation à distance (FAD).
Les attaques contre l’autonomie professionnelle sont aussi présentes dans l’aide pédagogique. Depuis 25 ans, le perfectionnement pédagogique se fait par les pairs, à l’intérieur de notre corps de métier. Cependant, depuis environ deux ans, l’UQO tente de professionnaliser l’aide pédagogique et bloque des initiatives d’aide individuelle par les pairs. Il y a donc une volonté de confisquer aux personnes chargées de cours ce perfectionnement pédagogique.
Résolution 4 : Le SCCC-UQO souligne l’expertise disciplinaire et pédagogique des personnes chargées de cours et affirme l’importance du perfectionnement et de l’aide pédagogique par les pairs.
Une autre dimension de l’autonomie professionnelle repose sur la collégialité. Malheureusement, les personnes chargées de cours sont exclues de plusieurs instances, ce qui en font souvent des employées et des employés de seconde zone. Encore aujourd’hui, la majorité des départements les exclut des Assemblées départementales. Les chargées et chargés de cours sont également exclus du Comité de la recherche et de la création et n’ont qu’un siège au Conseil d’administration de l’UQO. Dans les instances du réseau de l’Université du Québec, la situation est pire. Notre corps d’emploi est complètement exclu de l’Assemblée des gouverneurs et du Conseil des études.
Résolution 5 : Le SCCC-UQO demande une modernisation de la Loi sur l’Université du Québec afin d’imposer aux constituantes une collégialité inclusive et de rendre plus démocratiques et inclusives les instances.
Se prémunir contre l’ingérence de l’État
Les libertés universitaires se sont historiquement constituées en opposition au pouvoir politique. Il semblerait contradictoire que l’État québécois légifère pour établir les règles des libertés universitaires. Ce sont plutôt aux communautés universitaires d’établir localement des politiques pour réaffirmer et protéger les libertés universitaires.
Nous considérons que le gouvernement du Québec devrait plutôt s’inspirer de la Loi visant à prévenir et à combattre les violences à caractère sexuel dans les établissements d’enseignement supérieur afin d’imposer des consultations et l’établissement de politiques claires sur le sujet. Ainsi, le rôle de l’État ne serait pas d’établir les règles. mais plutôt d’initier la consultation et d’imposer que des règles claires soient établies dans chacune des universités.
Résolution 6 : Le SCCC-UQO considère que chaque université au Québec devrait adopter une politique spécifique sur les libertés universitaires.
Établir un dialogue
Les libertés universitaires sont essentielles dans l’exercice de notre profession. Elles permettent notamment la création et la diffusion de savoirs. Cela ne signifie toutefois pas que ces droits ne viennent pas avec des devoirs, notamment celui de respecter les opinions d’autrui et de permettre un dialogue, notamment avec les étudiantes et les étudiants. Les libertés universitaires doivent s’exercer de manière raisonnable et de bonne foi.
Depuis cinq ans, le Comité de perfectionnement offre la formation collective « Gestion de la diversité des profils des étudiantes et des étudiants en classe ». Nous croyons que c’est par ce type d’activités que nous pourrons sensibiliser le personnel enseignant à la diversité universitaire. D’autres formations collectives pourraient être créées afin d’accompagner les chargées et chargés de cours dans la prise en compte de cette diversité. La lutte contre toutes formes de discriminations, incluant le racisme systémique, doit être une priorité de chacun.
Résolution 7 : Le SCCC-UQO recommande aux personnes chargées de cours d’établir un dialogue avec les étudiantes et les étudiants sur les sujets pouvant les heurter. Le SCCC-UQO souhaite aussi développer de nouvelles formations collectives portant sur la diversité en milieu universitaire.
Cependant, la gestion de la crise à l’Université d’Ottawa était inacceptable. L’Université n’a pas su protéger son employée qui avait pourtant agi de bonne foi. Si ses choix pédagogiques peuvent être critiqués dans un cadre académique, sa suspension et l’atteinte à sa réputation, notamment sur les réseaux sociaux, étaient inacceptables.
Résolution 8 : Le SCCC-UQO exige que l’Université protège ses travailleuses et ses travailleurs contre les atteintes à la propriété intellectuelle, au droit à la vie privée et au droit à l’image. L’Université doit être un milieu de travail sain exempt de toutes formes de violences physique, psychologique, sociale et sexuelle.
Résolution 9 : L’Assemblée générale du SCCC-UQO mandate le Comité exécutif pour mettre en œuvre les moyens jugés nécessaires afin de mettre de l’avant les résolutions contenues dans le mémoire.
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