Point de vue
Retour sans nostalgie sur un passé syndical revendicateur victorieux et déjà l’annonce de la prochaine priorité de négociation syndicale pour la ronde de 2022-2023…
Année après année, il y a au moins une journée en novembre qui vient, à coup sûr, assombrir le quotidien des salariéEs syndiquéEs des secteurs public et parapublic au Québec. C’est en effet autour du 30 novembre que l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) publie son étude comparative annuelle de la rémunération des salariéEs de l’administration québécoise par rapport à différentes catégories de salariéEs (secteur privé, administration municipale, fédérale, universitaire et autres). Que nous révèle l’étude de cette année ? Encore une fois, en un seul mot, c’est le même constat : « retard ». Ce retard salarial, qui se répète infatigablement et trop tristement, de manière annuelle, correspond à un véritable supplice qui s’apparente, de plus en plus, au supplice de la goutte d’eau.
Le point « fort » de l’étude comparative de cette année est le suivant :
« En 2021, la rémunération globale des salariés de l’administration québécoise affiche un retard de 9,4 % par rapport à celle de l’ensemble des autres salariés québécois travaillant dans les entreprises et organisations de 200 employés et plus. »
Quand nous comparons des pommes avec des pommes et des oranges avec des oranges, c’est-à-dire quand nous regardons les écarts entre les salariéEs de l’administration publique du Québec et les salariéEs des autres administrations publiques, les écarts sont les suivants :
Écarts de rémunération globale entre l’administration québécoise et les autres salariés québécois, le privé et le secteur « autre public », en 2021, 2020 et 2012Secteurs comparés avec Écarts de rémunération globalel’administration québécoise 2021 2020 2012 %Autres salariés québécoisPrivé -9,4 -9,2 -6,3« Autre public » -27,5 -28,3 -26,2
De ce tableau, les auteurEs de l’étude dressent le constat suivant :
« Entre 2020 et 2021, l’écart de rémunération globale est demeuré stable entre les salariés de l’administration québécoise et les autres salariés québécois. Toutefois, entre 2012 et 2021, la situation des employés de l’administration québécoise s’est affaiblie. Les mêmes constats se dégagent de la comparaison des salariés de l’administration québécoise avec ceux du secteur privé. »
Pour ce qui est maintenant plus spécifiquement du « retard salarial dans l’administration québécoise », l’étude nous apprend ceci :
« l’administration québécoise présente une moyenne salariale inférieure à celle qu’affichent l’ensemble des autres salariés québécois (– 17,6 %) et le secteur privé (– 14,9 %) en 2021. Un accroissement des écarts est observé par rapport à 2020. Par rapport aux salariés des autres secteurs publics, ceux de l’administration québécoise affichent un retard de 24,5 % en 2021. »
« Par ailleurs, dans tous les cas, les écarts salariaux de 2021 sont plus prononcés que ceux de 2012. »
Il faut rappeler ici que de 2012 à 2021 il n’y a eu aucun décret gouvernemental dans les secteurs public et parapublic au Québec. Ce sont donc bel et bien des ententes négociées entre le Secrétariat du Conseil du trésor et les dirigeantEs et les représentantEs des grandes organisations syndicales qui ont été par la suite recommandées avec enthousiasme dans certains cas par les leaders syndicaux pour adoption par les membres-cotisantEs. Il n’y a, à notre connaissance, que les déléguéEs du Conseil fédéral de la FSSS-CSN qui ont rejeté, dans un premier temps, l’entente de principe dite intersectorielle conclue dans une salle du célébrissime « Bunker » en décembre 2015.
Pour conclure
Devant de telles données, force est de conclure que le retard de la rémunération globale des salariéEs syndiquéEs de l’administration québécoise est bien réel et qu’il ne s’agit pas d’une fabulation de l’esprit. Certaines ententes conclues récemment, pour certaines catégories de salariéEs syndiquéEs, auront peut-être pour effet de minimiser éventuellement des écarts présentement observés. Attendons voir les prochaines études de l’Institut de la statistique avant de conclure quoi que ce soit à ce sujet. Il y a par contre – et il s’agit ici d’une certitude – un certain nombre de salariéEs syndiquéEs des secteurs public et parapublic qui vont voir cet écart s’accentuer et ces personnes auront en plus à encaisser une véritable chute de leur pouvoir d’achat en raison de la nouvelle poussée inflationniste.
Ce qui peut bien expliquer cet écart
Ce sont bien entendu les décrets de 1982-1983 et de 2005 et aussi les différentes ententes négociées depuis les années quatre-vingt-dix jusqu’à aujourd’hui, qui ont contribué à créer et à maintenir cet écart désavantageux pour les salariéEs syndiquéEs de l’administration québécoise. À ce sujet, l’étude de l’ISQ de cette année lance une flèche empoisonnée autour des ententes conclues depuis 2010 entre le Secrétariat du Conseil du trésor et les organisations syndicales. C’est ainsi que nous décodons la phrase suivante : « Par ailleurs, dans tous les cas, les écarts salariaux de 2021 sont plus prononcés que ceux de 2012. » Rappelons-le, les contrats de travail durant ces années de faible progression salariale pour les salariées syndiquées des secteurs public et parapublic du Québec ont été négociés au rabais et recommandés par les dirigeantEs et représentantEs syndicaux pour adoption par les membres[1].
Nous sortons à peine de la ronde de renouvellement des conventions collectives qui venaient à échéance le 31 mars 2020. Certaines de ces négociations ne sont pas encore terminées. Dans d’autres cas, les ententes conclues entre les parties n’ont pas encore été signées. Plusieurs nouvelles conventions collectives viennent tout juste d’entrer en vigueur. De plus, aucune organisation syndicale n’a effectué (ou rendu public) le bilan de la ronde de négociation 2019-2021. Ajoutons ici que c’est normalement en octobre 2022, c’est-à-dire dans quelques mois, qu’elles auront à transmettre oralement et par écrit à l’État employeur leurs nouvelles demandes pour le prochain contrat de travail qui entrera en vigueur en avril 2023. Les prochains mois donneront donc le tournis à plusieurs personnes dans les secteurs public et parapublic au Québec.
Deux réactions syndicales à l’étude de l’ISQ 2021
Dans le communiqué conjoint qu’ont publié la CSN, la CSQ et la FTQ au sujet de l’étude de l’ISQ, elles nous disent que la prochaine négociation dans les secteurs public et parapublic portera sur l’item du rattrapage salarial, « un rattrapage juste et équitable ».
https://www.pressegauche.org/Rapport-de-l-ISQ-L-Etat-a-la-responsabilite-d-offrir-une-remuneration-plus. Consulté le 5 décembre 2021.
Le Syndicat des professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ) pour sa part précise ceci : « Pour atteindre une véritable équité entre les hommes et les femmes, le gouvernement devra offrir de meilleurs salaires à son personnel qui est maintenant majoritairement féminin. »
À quelle hauteur s’élève ce rattrapage nécessaire pour être qualifié de « juste et équitable » ? C’est ce que les directions syndicales nous dévoileront dans quelques mois.
D’hier à demain…
Il va en effet falloir que les parties négociantes dans les secteurs public et parapublic trouvent, tôt ou tard, le moyen pour éliminer ces écarts béants et inacceptables de la rémunération de l’administration québécoise qui sont portés à notre connaissance année après année. Il n’y a pas que les médecins spécialistes, les omnipraticiens, les juges, les procureurEs de la Couronne qui méritent un salaire à la hauteur de la valeur de leur prestation de travail et une rémunération compétitive avec ce qui est versé ailleurs au Canada. Que ce soit dans le secteur privé ou dans le secteur public l’alignement en matière de rémunération doit être : « À travail égal, salaire égal ! » Il en va de même pour l’équité salariale ainsi que la relativité. De plus, il faut comparer principalement des choses qui sont comparables : nous entendons par là que les emplois de l’administration québécoise doivent être comparés aux emplois occupés par d’autres syndiquéEs salariéEs du secteur public (administration municipale et fédérale et entreprises publiques). Plus que jamais également, la pleine protection du pouvoir d’achat doit être absolument assurée, d’autant plus que le ministre des Finances, Monsieur Girard, nous a récemment annoncé que les finances publiques du Québec se portent mieux, beaucoup mieux même, que ce qui était prévu. Étrange, le présent gouvernement distribue des milliards à gauche et à droite et du même souffle il prétend ne pas avoir les sommes nécessaires pour rémunérer adéquatement ses propres salariéEs syndiquéEs. En agissant ainsi, l’État employeur du Québec se comporte avec la vaste majorité de ses salariéEs syndiquéEs, n’ayons pas peur de le dire, en véritable État exploiteur.
https://www.pressegauche.org/Mise-a-jour-economique-du-ministre-Girard-25-novembre-2021. Consulté le 5 décembre 2021.
Une admission qui serait la bienvenue en ce cinquantenaire du Front commun de 1971-1972
Il serait bien que celles et ceux qui ont mis de la pression sur leurs propres membres pour qu’elles et qu’ils votent en faveur des ententes conclues en 2010 et en 2015 reconnaissent que les augmentations salariales paramétriques négociées avec le gouvernement du Québec à ces deux occasions étaient nettement insuffisantes. Cette autocritique serait la bienvenue dans le cadre du cinquantenaire du Front commun de 1971-1972. Un Front commun syndical qui a obtenu, à l’époque, la satisfaction à plusieurs de ses revendications monétaires et normatives. Ce qui ne s’est pas vraiment produit depuis trop longtemps dans ces deux secteurs vitaux de notre société. Secteurs qui emploient autour de 550 000 salariéEs syndiquéEs qui sont à environ 75% des femmes. Il est bien à l’occasion de célébrer ses victoires, tout comme d’ailleurs de reconnaître ses erreurs. Il s’agit là même et nous osons l’affirmer, d’un signe de grandeur.
https://statistique.quebec.ca/fr/communique/remuneration-globale-des-employes-de-ladministration-quebecoise-la-parite-avec-le-prive-mais-des-ecarts-avec-les-autres-secteurs-publics. Consulté le 5 décembre 2021.
Yvan Perrier
Chargé de cours en relations industrielles
[1] Le contrat de travail de 2010 à 2015 a généré au total des augmentations paramétriques de 7,5% pour cinq ans. Pour ce qui est de celui qui a été en vigueur de 2015 à 2020, il incluait les augmentations paramétriques suivantes : 0% en 2015, 1,5% en 2016, 1,75% en 2017, 2% en 2018 et 0% en 2019, soit 5,25% au total pour cinq ans toujours. Il faut préciser que pour l’année 2019, une nouvelle échelle de traitement prévoyait une majoration salariale d’environ 2,5% entrait en vigueur et certaines catégories de salariéEs ont profité également d’un ajustement à la hausse en lien avec la relativité salariale. Pour la période couverte par les années 2020 à 2023, plusieurs salariéEs syndiquéEs des secteurs public et parapublic n’auront droit qu’à un maigre 6% d’augmentation salariale pour trois ans (2% en 2020, 2% en 2021 et 2% en 2022).
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