Yvan Perrier, chargé de cours en relations industrielles et membre du Comité de mobilisation du SCCC-UQO, nous propose une série de trois articles pour marquer le trentième anniversaire du Syndicat. Ceci est le premier article.
« […] la plus puissante civilisation aura enfanté l’homme précaire ». André Malraux
Le Syndicat des chargées et chargés de cours de l’Université du Québec en Outaouais (SCCC-UQO) a maintenant 30 ans. C’est en effet le 21 mai 1993 que le Syndicat des chargées et chargés de cours de l’Université du Québec à Hull a obtenu son accréditation[1]. Trente années de longue patience et parfois aussi de turbulences pour obtenir certaines choses qui, au départ, nous était niée comme, notre reconnaissance professionnelle institutionnelle et notre dignité de personnes salariées. À l’époque, la rémunération variait d’un département à l’autre; l’attribution des cours était arbitraire et il n’y avait aucune sécurité d’emploi. Pour ce qui est de notre participation à la vie universitaire, elle était plus que quantité négligeable. Il y a même eu, dans certains départements, quelque chose qui s’apparentait à des licenciements déguisés. Les relations de travail qui s’appliquaient à nous, avant notre syndicalisation et la négociation de notre première convention collective[2], étaient hiérarchiques et même quasiment « féodales »[3]. Notre trentième anniversaire se prête bien à un petit exercice du genre qui sommes-nous? D’où venons-nous? Où en sommes-nous? Et qu’envisageons-nous pour notre avenir? Mais avant de répondre à ce foisonnement de questions, procédons à un petit survol historique rapide de notre histoire en tant que syndicat et mentionnons quelle est notre contribution à l’éducation d’une partie de la population.
Il y a soixante ans…
Mentionnons tristement qu’il y a soixante ans la population du Québec était sous-scolarisée. Qu’en est-il maintenant? Comme l’écrivait récemment l’économiste Pierre Fortin :
« […] le Québec a incroyablement progressé depuis 1960. À l’époque, la majorité canadienne-française formait une société pauvre, illettrée, complexée et soumise. […] Que s’est-il passé depuis ? […] C’est maintenant 80 % de nos jeunes adultes qui détiennent un diplôme d’études postsecondaires, soit professionnel, collégial ou universitaire, contre 75 % ailleurs au Canada[4]. »
Nous verrons un peu plus loin que nous, les chargées et chargés de cours, y sommes pour beaucoup dans ce taux élevé de diplomation de la jeune population adulte du Québec, surtout auprès de la population qui suit les cours du premier cycle universitaire.
Qui sommes-nous?
Nous sommes des chargées et des chargés de cours appartenant à l’enseignement supérieur[5]. Nous sommes des personnes salariées à l’emploi d’une institution qui joue un rôle essentiel dans le développement culturel, intellectuel et professionnel de la population. Nous sommes en fait à l’emploi du principal employeur qui a pour mission le rayonnement de la connaissance fondamentale et la transmission du savoir en lien avec la formation professionnelle la plus hautement qualifiée dans la société. Dans la « Société du savoir » qui est la nôtre, notre rôle consiste pour l’essentiel à transmettre des connaissances auprès des personnes qui occupent les emplois les plus exigeants sur le plan des qualifications ainsi qu’auprès des personnes qui veulent faire le plein en éducation.
Jusqu’au début des années soixante du siècle dernier, l’éducation au Québec était un secteur largement négligé par les dirigeants politiques de la Belle province. Le financement de ce secteur n’était pas à la hauteur de son importance stratégique dans le développement économique, social et culturel. Le personnel enseignant et professoral devait, mis à part certaines exceptions, tous les niveaux d’enseignements confondus, démontrer qu’il avait le sens de la mission. Ce sont les luttes syndicales qui ont eu pour effet de contribuer à mettre fin au règne du quasi-bénévolat en éducation. Ce sont les luttes syndicales et les grèves dans les universités qui ont permis la reconnaissance professionnelle de celles et ceux qui y enseignent et qui ont eu pour effet de contraindre les universités à verser une rémunération plus substantielle et plus conséquente à ses personnes salariées intellectuelles. Mentionnons-le, il n’a pas toujours été facile de faire accepter aux administrations universitaires de l’époque l’existence de syndicats dans ce qu’ils considéraient comme étant leur fief ou leur chasse gardée. Avec le temps, nos conditions de travail et de rémunération se sont nettement améliorées. Il reste encore du chemin à faire avant de crier victoire. Nous y reviendrons.
D’où venons-nous?
Notre origine n’est pas si lointaine. Nous avons vu le jour un peu après la fondation de l’Université du Québec à Hull (UQAH) devenue par la suite Université du Québec en Outaouais (UQO). Nous devons notre existence, en tant que syndicat (ou association de salariées et des salariés) grâce à cinq personnes qui ont fait preuve de ténacité. Nommons-les : Marc Sarazin, Michel Hébert, Renaud Paquette et Denis Marcoux. Johannes Martin Godbout s’ajoutera, un peu par la suite, aux démarches des quatre membres fondateurs.
Au départ notre employeur nous a ignorés et même combattus. Nous étions traités comme des employé.e.s éphémères. Notre salaire était fixé arbitrairement. La liste d’ancienneté était inexistante. Nous étions des employé.e.s sans réelles perspectives d’avenir professionnelles. Nous nous retrouvions comme des billes dans les mains d’un joueur. En nous formant en association de salarié.e.s, en syndicat pour être plus précis, nous nous sommes montrés déterminé.e.s à combattre nos inégalités de traitement et de condition. Nous avons dit non à l’individualisme dans notre lien contractuel avec l’université. Autrement dit, non à ce statut de contrat négocié individuellement qui valorise le vedettariat et l’inégalité de traitement. Nous avons mené des luttes contre l’arbitraire dans l’attribution des charges de cours et contre la vulnérabilité de notre statut d’employé.e. précaire, à usage limité voir même jetable après une seule charge de cours. Nous sommes parvenus collectivement à imposer à notre employeur un mode de gestion plus respectueux de notre dignité de salarié.e et à nous verser une rémunération plus équitable avec le corps professoral. En nous imposant comme association de salarié.e.s nous nous sommes faits reconnaître comme n’étant pas uniquement des individus parlants devant un groupe d’étudiant.e.s. Nous sommes des personnes humaines qualifiées et nous disposons d’une expertise qui mérite d’être pleinement reconnue et rétribuée en conséquence. Nous devons être également pleinement intégré.e.s dans l’institution.
À suivre…
[1] Le SCCC-UQAH est devenu SCCC-UQO en 2002.
[2] Notre première convention collective a été signée en 1996, soit plus de 3 ans après l’obtention de notre accréditation syndicale et deux années après le dépôt de nos premières demandes syndicales (mars 1994).
[3] Harvey, Nicolas. 2018. Serons-nous radicaux ou conciliants : Histoire du Syndicat des chargées et chargés de cours de l’UQO. Middletown, p. 12.
[4] Fortin, Pierre. « L’incroyable progrès économique du Québec. Le Devoir. 26 novembre 2022.
https://www.ledevoir.com/opinion/libre-opinion/772324/libre-opinion-l-incroyable-progres-economique-du-quebec. Consulté le 6 juin 2023.
[5] Trois choses caractérisent la mission universitaire : la recherche fondamentale et appliquée, l’enseignement disciplinaire spécialisé et le service à la collectivité. Il importe de mentionner que l’enseignement universitaire exige que ses artisan.e.s jouissent de la liberté académique. Les administrations universitaires perçoivent et emploient les chargées et chargés de cours pour donner des cours alors que plusieurs parmi nous sont qualifiés pour mener de la recherche fondamentale ou appliquée et également effectuer des travaux en lien avec le service à la collectivité.
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